Mwà Véé n°70 /

Visuel réalisé à partir des photos prises par Eric Dell’Erba lors du spectacle Terres d’Auras de Stahn Kabar-Louët (2006, centre culturel Tjibaou) et du spectacle Pomemi, de Richard Digoué et Anne-Sophie Arzul (2010, 4e Festival des arts mélanésiens.
extraits…
… de l’éditorial
La danse a occupé le devant de la scène à la fin de l’année 2010. Le 4ème Festival des Arts Mélanésiens a ouvert le bal à Koohnê (Koné) avec le spectacle Pomemi de Richard Digoué et Anne-Sophie Arzul, un cocktail détonant de danse traditionnelle et de danse contemporaine avant d’essaimer à travers la Grande Terre et les Iles Loyauté. Le festival Waan danse a pris le relais un mois plus tard au centre culturel Tjibaou en même temps que la Fête de la danse au Dock socioculturel de Païta. Le mouvement s’est poursuivi le week-end suivant lors du festival culturel du Mont-Dore. Une semaine plus tard, il s’est transposé tout au nord du pays, où la tribu de Caavet (Tiabet) a organisé le Hiiyac, première fête culturelle des chefferies de l’aire Hoot ma Whaap.
Cet engouement pour la danse correspond à une réalité spirituelle et sociale ancrée depuis toujours dans la tradition kanak, et plus généralement mélanésienne et océanienne. Il rejoint là une volonté d’affirmation identitaire. Sous des formes plus contemporaines, il répond à un besoin d’expression et de reconnaissance artistiques, mais également à un désir d’échange avec la culture première de ce pays (…) Ainsi les événements culturels cités tout au long de cette approche modeste du « phénomène danse » en Nouvelle-Calédonie représentent-ils autant de temps forts d’expressions traditionnelles, d’expressions contemporaines, d’expressions mêlées, sur lesquelles souffle sans sectarisme l’esprit de la danse.
Des temps partagés d’aspiration commune, et donc, plus sûrement qu’au travers des discours, des temps de destin commun.
Mwà Véé (Gérard del Rio)
… des entretiens et articles
« Le peuple kanak danse depuis toujours. La danse est une expression culturelle complètement intégrée dans sa tradition. Cette danse traditionnelle cohabite désormais avec des formes contemporaines. Une nouvelle génération a vu le jour. C’est ainsi que l’on a assisté ces dernières années à l’émergence de jeunes danseurs et chorégraphes décomplexés par rapport à leur créativité et à leurs créations. Certains d’entre eux font le lien entre les formes anciennes et les formes nouvelles de la danse. On retrouve notamment cette attitude dans la danse urbaine, le hip-hop en particulier, dont le grand quartier de Rivière-Salée est le berceau. »
Diane-Lise Da Ros, danseuse et chorégraphe calédonienne
« Il faut savoir que les danses traditionnelles sont intimement liées à notre histoire, individuelle et collective. Elles constituent pour nous un faisceau de repères qui nous rappellent qui nous sommes, d’où nous venons, pourquoi et comment nous avons parfois changé d’endroit au fil de notre histoire. Il est donc du devoir de ma génération de préserver ces représentations de notre histoire, sinon, qui le fera ? »
Yvon Kona, collecteur de danses et chants traditionnels
« Maintenir la danse, c’est important pour nous. En particulier vis-à-vis des enfants que nous initions très tôt dans le cadre scolaire et qui sont captivés. Ils sont toujours au premier rang lorsque nous interprétons des danses entre nous. Et lorsque nous nous préparons à participer à une manifestation comme le festival Waan danse au centre, les plus jeunes sont toujours partants pour nous accompagner (…)
« Dans notre conception, la danse fait un avec l’esprit, et le danseur, en même temps qu’il fait un avec la danse, fait un aussi avec sa condition d’homme et son vécu. »
Pasteur Dahote Malachie, troupe de danse de Caavet (Tiabet)
« Les danses traditionnelles ne sont pas sorties de nulle part. Elles correspondent à un événement ou au rêve d’un vieux à une époque donnée. Il n’y a donc aucune raison de ne pas en créer aujourd’hui à partir d’événements actuels. C’est une façon d’écrire l’histoire, le vécu des chefferies et des tribus. La danse que nous allons créer aujourd’hui sur la base d’un fait récent restera comme un témoignage de celui-ci pour les générations futures. C’est ainsi que l’on constitue un patrimoine danse pour demain (…)
Ce qui fait qu’une danse est traditionnelle par rapport à d’autres formes de danse, c’est son caractère sacré. »
Joseph Umuisi Hnamano, troupe de danse du Wetr (Lifou)
La Danse interdite est l’une des cinq danses traditionnelles des îles Bélep que l’association Dagac fait revivre depuis quelques années. « Quand les premiers missionnaires sont arrivés, en 1856, ils ont interdit à nos vieux de la danser. Ils la jugeaient trop suggestive… Nos vieux ont néanmoins continué à la danser en cachette et elle est arrivée jusqu’à nous. Son vrai nom, en nyelàyu, langue de Belep, est Sodi, ce qui signifie “Vas-y !” ».
Robert Bouédaou, troupe de danse Dagac, îles Bélep
« Je suis animé par le désir de pérenniser nos danses traditionnelles (…) Il est temps de faire ce travail, parce que beaucoup de danses importantes ont déjà disparu avec les derniers vieux qui les connaissaient et en maîtrisaient le sens. Ce qui fait que nous en sommes parfois réduits à réinventer des danses qui ont été longtemps interdites et se sont quasiment éteintes. C’est un travail de réécriture à partir de témoignages et d’éléments épars collectés sur le terrain auprès des gens qui ont conservé quelques souvenirs du temps d’avant. »
Richard Digoué, danseur et chorégraphe kanak
« À mon retour en Nouvelle-Calédonie, j’ai créé ma compagnie, le Karbal Nouméa Ballet, avec des danseurs et danseuses qui étaient prêts à tenter cette aventure avec moi. Les filles étaient pour la plupart issues de la danse classique, les garçons, de la danse traditionnelle et du milieu hip-hop (…) Tous ces jeunes avec lesquels j’ai travaillé ont été extrêmement courageux et volontaires. Ils étaient véritablement curieux d’apprendre une façon de danser qui leur permette de se structurer et, à partir de là, d’évoluer vers d’autres dimensions. »
Sthan Kabar-Louët, danseur et chorégraphe calédonien
« Beaucoup de ces jeunes [qui pratiquent le hip-hop] entretiennent un rapport avec la danse traditionnelle qui représente leurs racines et incarne leur identité. Le mouvement hip-hop qu’ils développent ne s’inscrit donc pas en rupture avec le passé, mais en filiation, même si, à première vue, les formes anciennes et les formes actuelles sont très différentes. En réalité, les jeunes qui pratiquent le hip-hop ont une capacité à intégrer dans leurs rythmes, leurs mouvements, leurs figures, leurs chorégraphies des éléments de la tradition. »
Manuel Touraille, délégué général de l’Adamic et directeur du Rex
Cet entretien est complété par une histoire du hip-hop en France et en Nouvelle-Calédonie et l’impact du hip-hop en termes de lien social.
« Les jeunes d’ici possèdent le potentiel qu’il faut pour se dépasser. Je suis persuadé que c’est en s’inspirant de leur histoire et de leur patrimoine culturel qu’ils doivent avancer s’ils veulent vraiment sortir du lot. Ce n’est pas en imitant les autres que l’on évolue, mais en se démarquant.»
Brahim Bouchelaghem, danseur et chorégraphe
« Le hip-hop, c’est notre outil d’intégration dans la société contemporaine (…) On ne considère pas pour autant le hip-hop comme une expression branchée, déconnectée de ce que nous sommes. Nous le vivons en lien avec le monde kanak (…) Et pour bien montrer qui nous sommes, d’où nous venons, nous n’hésitons pas à introduire, par exemple, une séquence de cap au beau milieu d’un spectacle purement hip-hop comme cela nous est arrivé lors de notre tournée en Métropole. Du coup, nos vieux comprennent notre démarche et ils sont fiers de nous. »
Hassan, leader du groupe hip-hop Résurrection
« La danse contemporaine continue d’évoluer sous l’effet de divers apports, aussi bien contemporains que traditionnels, ou qui, comme le cap-rap, initié par le groupe Lorena, mêlent les deux. Pour notre part, nous travaillons aussi bien avec des groupes hip-hop, que néoclassiques ou traditionnels. Nous travaillons de la même manière avec des danseurs issus de différents horizons, auxquels des chorégraphes comme Richard Digoué ou Sthan Kabar-Louët ou des compagnies comme Posuë ont déjà fait appel. »
Steeve Hoane, leader de l’ Association Yanness & Thngo
« Dans notre culture, on a des rythmes anciens qui s’apparentent au hip-hop. La danse traditionnelle, c’est comme aller à l’école et apprendre des phrases. Une fois que l’on a acquis ces bases, il est plus facile de décoder les autres rythmes. C’est comme cela que j’ai appris à danser et que je suis facilement passé au hip-hop. »
André Fatoumaou, danseur
Le concours Émergence
Parmi les missions principales de l’ADCK-centre culturel Tjibaou, figurent en priorité le soutien et la promotion de la création artistique locale. Le concours Émergence, créé en 2009, sous la forme d’un appel à projets artistiques dans le domaine des arts vivants, s’inscrit dans le cadre de cette démarche culturelle. D’année en année, l’ADCK-CCT apporte ainsi son concours logistique et financier à de nombreux artistes de Nouvelle-Calédonie, dans le domaine des arts vivants. En 2010, cinq projets ont été distingués. Pour 2011, une quarantaine de dossiers ont été déposés et évalués par le jury Émergence, présidé par Marie-Claude Tjibaou, présidente du conseil d’administration de l’ADCK-centre culturel Tjibaou. Quatre d’entre eux ont été distingués et sont d’ores et déjà inscrits dans la programmation 2011 du centre culturel Tjibaou.
Lauréats Emergence 2010
Scènes de danse, passerelles chorégraphiques
Ce dossier se termine par une évocation de festivals et manifestations consacrées à la danse sous toutes ses formes, dans le Nord de la Grande Terre et dans le Grand Nouméa.
Les cahiers du patrimoine oral kanak
Ce numéro 70 comporte également un exemple de chant aé aé à danser, inspiré d’un récit ancien en langue nââ xârâcùù: l’Histoire de la pirogue Seeva, recueillie en 2009, à la tribu de Méhouè, commune de Canala, auprès d’Arthur Maramin par Yvon Kona, collecteur du département Patrimoine et recherche de l’ADCK-centre culturel Tjibaou.